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Alep

 

​​Alep, où cet homme qui tient l’index levé dit la « Chahada », la profession de foi des musulmans - « Il n’y a de Dieu que Dieu et Mahomet est son messager » - met son doigt sur les lèvres puis le pointe vers le ciel. Expire un grand coup. Et meurt.Alep, où toute une ville dit la prière des morts.

 

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Le photographe français Olivier Voisin, mon ami, mon frère, gravement blessé en Syrie, a succombé à ses blessures dimanche 24 février. Olivier Voisin, photographe indépendant de 38 ans, est mort dimanche 24 février, des suites de ses blessures, après avoir été atteint à la tête et au bras par des éclats d’obus en Syrie. Je le connaissais très bien. Peu de reporters de terrain étaient proches de lui. Il était pourtant doué d’un grand talent, sociable et chaleureux mais c’était un homme seul. Un solitaire. Dans ce métier, c’est assez fréquent. Et on respecte le silence des autres.Comme chaque fois, c’est la mort qui met un reporter en lumière. On savait de lui qu’il était courageux, très courageux, prenant parfois des risques importants. Et aussi, pour les gens du métier, qu’il ne se battait pas seulement pour sa survie physique mais aussi pour sa survie économique.

Un free-lance, un reporter indépendant, un reporter de guerre, doit se battre chaque jour pour trouver les moyens financiers pour vivre, voyager, travailler. C’est un drame que personne ne veut regarder en face. Celui de la brutalité commerciale du monde de l’édition. Celui d’amis photographes, bourrés de talent et couvert de prix, admirés, respectés, World Press réduits au RMI, encensés par le public, humiliés par leur banque. Un reporter doit sans cesse produire et vendre.La guerre tue tout le mondeChaque jour est une épreuve. Et pas seulement sous les balles.

 

A Ajdabiah, en Libye, où la presse tournait en rond bloquée par un check-point, Olivier Voisin et moi, nous nous étions résolus à nous déguiser en infirmier/infirmière avec la complicité d’un médecin, pour monter dans une ambulance et atteindre le lieu des combats, pour faire des photos, pour travailler, pour vivre, pour faire son métier. Il en est mort à mes côtés, comme bien d’autres en Syrie. Comme Rémy Ochlik, un an plus tôt, jeune et superbe photographe promis à une grande carrière, comme Gilles Jacquier, journaliste de télé d’une grande expérience, comme l’Américaine Marie Colvin, riche d’une vie passée à couvrir les conflits, comme Yves Debay, jovial baroudeur, comme tant d’autres, jeunes ou plus âgés, débutants ou vieux routiers, intrépides ou prudents…

 

 

La guerre, tue tout le monde, indifféremment, à égalité, comme une grimace démocratique de la mort.Les reporters tombent en Syrie. Et leur mort est leur dernier témoignage. Ils disent que cette guerre est d’une immense brutalité. Qu’entre les obus d’Assad , ses tortionnaires, et les voitures piégées des insurgés, dont ces "crétins de moralistes religieux" qu’ Olivier Voisin décrit dans sa dernière lettre, il n’y a guerre de place pour la clémence.Comprendre un peu mieux. Et puis ses photos, ses photos fortes et belles, qui disent l’essentiel, la souffrance inouïe d’une population, la tête prise dans un étau. Plus que les grandes analyses politiques, la mort et le travail des reporters sur le terrain nous disent aussi que la guerre va durer. Et que la Syrie se libanaise.La dernière lettre envoyée par Olivier Voisin à une amie italienne était celle d'un homme sensible (sa famille a demandé qu'elle ne soit plus publique). Reste le photographe. Regardez une de ces photos que personne n’a publiées, ces photos d’art digne des grandes expositions que le reporter faisait pour l’amour de son métier et l’amour des autres. Et vous comprendrez peut-être un peu mieux l’homme et le photographe que nous venons de perdre.

Estelle

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